Chronique #3 (1996-2000)
par Etienne Montero
Il faut se rappeler combien le continent informatique était terra incognita pour la plupart des juristes. Tels les explorateurs du Nouveau Monde, nous allions de découverte en découverte. Un jour, on réalisait que les codes sources des logiciels étaient aussi convoités que l’or de Californie. Le lendemain, on apprenait que la simple utilisation d’un programme supposait une forme de reproduction… C’est dire l’intérêt qu’il y avait de fouler le terrain pour prendre la mesure des risques, défis et problèmes juridiques posés par les développements de l’informatique. Yves Poullet nous accordait une confiance imméritée. A peine arrivés au CRID, plusieurs d’entre nous ont été propulsés dans des groupes d’experts constitués pour l’informatisation de parastataux sociaux. Quand vous entendez un haut fonctionnaire (qui, manifestement, nous avait à la bonne) affirmer devant de vrais experts : ‘au CRID, ils ont épluché et maîtrisent toute la jurisprudence relative à l’informatique’, alors que vous n’avez pas encore lu une décision judiciaire en la matière, croyez-moi, vous vous mettez à bosser pour être à la hauteur de la réputation du jeune centre. Avec cette adrénaline-là, on apprend vite ! Au milieu des années 90, nous étions aussi régulièrement consultés par des boîtes informatiques… ou leurs clients pour rédiger ou réviser des contrats de licence, de développement de logiciel ou de maintenance. Nous collaborions aussi avec quelques fondateurs de start-up (de belles rencontres !) pour réaliser divers montages contractuels. Théorie et pratique se nourrissaient mutuellement.
C’est à peu près en 1995 qu’Internet explose en Europe… On en avait entendu parler comme d’un nouveau réseau de réseaux, utilisé outre Atlantique, mais ce n’était pas encore une réalité tangible sur le vieux continent. Dès 1996, le CRID fait œuvre de pionnier en organisant un grand colloque sur le thème « Internet face au droit ». De nouvelles questions apparaissent et de nouveaux champs de recherche s’ouvrent aux membres du CRID. La répartition des responsabilités entre les multiples intervenants en est une : qui, du créateur de contenu, du fournisseur d’accès, du prestataire d’hébergement ou du transporteur, est responsable en cas de diffusion de contenu illicite ? (il n’était pas encore question des épineuses questions liées aux services 2.0, moteurs de recherche, services de référencement, et un long etcétéra). Désormais aussi, il devenait possible de conclure des contrats par le biais de l’internet. Nouvelle rafale de questions juridiques qui devaient très vite mobiliser les instances européennes. En l’an 2000 était adoptée une directive européenne sur le commerce électronique. Il fallait la transposer en droit belge, sachant que l’Europe touchait ici au vénérable droit civil des obligations et des contrats. Mais également, par certains aspects, au droit commercial (nouvelles formes de publicité), au droit judiciaire (les modes alternatifs de règlement des litiges…), même au droit international privé (avec la fameuse « clause de marché intérieur »). Le Ministre de l’Economie confia au CRID le soin d’étudier la manière d’intégrer en notre droit interne les principes et solutions consacrés par le texte européen. Ce fut une recherche stimulante menée par une équipe enthousiaste. Et une expérience assez complète puisqu’il s’était agi non seulement de réaliser une vaste étude scientifique, mais aussi de s’essayer au travail légistique et de tâter des chamailleries politiques en participant aux inter-cabinets sur notre avant-projet de loi. Années mémorables où régnaient une effervescence intellectuelle et une belle convivialité. Terreau idéal pour voir pousser des questionnements de plus en plus fondamentaux et, naturellement, plusieurs chercheurs tourmentés se lancèrent dans l’aventure doctorale. Même s’ils entraient ainsi dans une démarche plus solitaire, jamais n’ont fait défaut les interactions scientifiques, les liens personnels et les moments festifs.
Dans les couloirs de la faculté, il se disait que le CRID était en réalité une agence de voyages. Il est vrai que les chercheurs multipliaient les conférences et les communications dans des colloques en Belgique et, de plus en plus, à l’étranger.
Au cours des années 90, la collection des cahiers du CRID monte en puissance, change plusieurs fois d’éditeur et accueille à bon rythme des recherches collectives, des monographies et des actes de colloques. En 1998, une publication scientifique trimestrielle voit le jour : la revue Ubiquité, devenue la Revue du Droit des Technologies de l’Information (R.D.T.I.).
Thèses de doctorat, collection d’ouvrages propre et revue de niche : le centre entrait dans la maturité !